Je sers la bière
Je fais de temps en temps du bénévolat dans le milieu féministe.
Je suis présente. Je donne du temps. La plupart du temps, je sers des bières.
J’écris mon nom sur un planning avant l’événement. Mon prénom étrange à coté des prénoms plus communs, comme à l’école. Ces noms ne m’évoquent rien. Je ne connais personne.
Je vais à l’événement, seule. Souvent je dois prendre le métro.
J’arrive, je me présente à la personne en charge des bénévoles. Une lueur de reconnaissance allume son regard quand je lui dis mon prénom.
"Ah oui, le shift" "Ah super, on est short au niveau de l’équipe" "Ah cool, tu as fais la formation ?"
J’arrive à l’heure. Je sais ce que j’ai à faire. Je fais ma tache consciencieusement.
Tout le monde est bienveillant. Tout le monde est gentil. Tout le monde est bien éduqué. Tout le monde sent bon. Les filles sont si belles. Elles rient entre elles, elles brillent, elle se draguent, elles s’embrassent.
Si j’ai de la chance, je croise une connaissance. On échangera les banalités d’usage. Puis elle repartira dans la foule.
Je reste là. Je sers les bières. Je croise des regards sympathisants mais aussi un peu vide. Je sers les bières. Tout le monde demande sa boisson bien poliment.
Souvent j’ai des compagnes de bénévolat. Parfois elles font partie de la bande des filles brillantes. Souvent elles sont comme moi. Venue seule, repartie seule. On fait connaissance. On regarde les autres filles de loin.
Chacune de nous connait sa place. Il y a celles qui servent les bières. Celles qui les boivent avec leurs amies, admirant le spectacle. Et puis il y a celles qui font le show, bien sûr.
Je sers les bières. Autour, on échange des potins sur des gens que je ne connaîtrais jamais.
Je termine mon shift. On me remercie bien sûr. Mon prénom sera effacée des têtes dès que j’aurai tourné le dos.
On ne me propose pas de boire des coups. On ne prendra pas mon numéro. La fête continue sans moi.
J’attends le prochain événement. Il y a aura bien besoin de bénévoles. J’inscrirais mon nom sur une liste.